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Aimer son temps ?

Sous ce titre (mais sans le point d’interrogation), la revue « Aujourd’hui », en première page de son premier numéro du jeudi 5 décembre 1929, publiait en guise d’éditorial un long article de C.F. Ramuz sous ce titre, tandis que l’auteur semble s’excuser de s’aventurer ainsi avec imprudence dans les régions de la métaphysique.


Il nous a semblé intéressant d’en reproduire un court extrait en cette fin d’année 2021. Aimer son temps ? Celui d’une année difficile et mouvementée au cours de laquelle les vagues successives d’une grave pandémie ont fortement entravés cette forme d’amour, sans jamais toutefois l’empêcher de se manifester.



"Il ne faut pas aimer son temps pour des raisons. On n’aime pas pour quelque chose. Il faut aimer tout court ; il n’y a jamais de raisons à l’amour. Celui qui aime véritablement ne connaît ni passé, ni futur : toute image qui prend de la force tend à entrer dans le présent ; elle y entre d’autant plus qu’en effet elle est plus présente. Il y a un temps de l’esprit et il y a un temps du cœur.


Celui qui aime est dans le temps du cœur. Tout homme [ou toute femme] qui aime n’aime que le présent, c’est-à-dire qu’il fait du présent de tout, parce qu’il y fait tout entrer.


Celui qui aime tend inconsciemment à contracter en un seul point, qui est celui où il se tient lui-même, la longue ligne indéfinie où les événements pour l’esprit sont échelonnés : de sorte que pour l’esprit il n’y a en quelque sorte point de présent, tandis que pour le cœur le présent seul existe.


Pour l’esprit, en dernière analyse, il n’y a que du passé ou du futur, car dès qu’on s’applique à saisir et fixer le présent dans cet écoulement illimité qui est celui où sont les choses, il n’en fait plus qu’un point imperceptible et que l’effort même de la préhension rend de plus en plus imperceptible, insaisissable ; tandis que, ce même moment, le cœur le dilate au contraire et le dilate à l’infini."


C.F. Ramuz

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