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Vrais acomptes et fausse monnaie

Dans mes pérégrinations de bibliophile, dans l’idée d'une séquence pédagogique sur Farinet ou la Fausse monnaie à destination de mes classes de gymnase, et pour satisfaire mon intérêt renouvelé pour Ramuz, j’ai acheté en bouquinerie, parmi d'autres acquisitions, un exemplaire du Journal publié par Mermod en 1943, bien qu'aujourd'hui avantageusement remplacé par l’édition Slatkine. De retour chez moi, j’ai négligemment posé mes achats : je lirai tout cela en temps voulu. Au fur et à mesure que l’entassement des livres diminuait au pied de mon lit et que les volumes lus allaient rejoindre mes étagères, voilà le tour du Journal. Je l’ouvre et aussitôt, de ses pages, jaillit une enveloppe grise, qui selon toute apparence n’est pas de notre siècle.


J’aime les livres de seconde main et les livres anciens. J’aime imaginer les émotions qu’ils ont suscitées, les mois, les ans qu’ils ont passés sur une étagère ou sous une « pile à lire ». J’aime déchiffrer les scolies, les marginalia et les dédicaces d’anonymes. J’aime lire les dates d’édition et me représenter ou me rappeler ce qu’était le monde en ce temps-là. J’aime parfois y trouver, bien calée entre deux chapitres, une coupure de presse, une fleur séchée, une carte postale qui sert de marque-page à un ouvrage qu’on avait espéré finir plus tard, même si, de toute évidence, la vie en a décidé autrement...


Mais cette enveloppe que j’ai entre les mains n’est pas un vulgaire signet, une coupure de presse ou une violette qu’on a fait sécher entre deux pages en souvenir d'un amour estival. Bien que l’enveloppe soit manifestement très ancienne, l’écriture de l’adresse me semble familière. Cette encre noire, cette application d’un tracé qui hésite entre la cursive et l’imprimée, la hauteur des hampes et la profondeur des jambages, le trait parfois tremblant, mais souvent décidé... Le verso de l’enveloppe portant l’en-tête de « La Muette » confirme mon intuition : c’est bien ce cher Charles qui écrit ! 26 avril 1930. Il y a de cela 92 ans. Ramuz avait gagné le Prix Romand et venait d’acheter sa maison à Pully. Il réclame ses acomptes à son bailleur de l’Avenue des Jordils. Le voilà enfin propriétaire. Cette lettre est peut-être son dernier acte administratif lié à ses différents domiciles de location, dont l’un fut propriété de mon trisaïeul, la pension Bella-Lui à Lens.


La découverte de cette petite note ne révolutionnera pas la connaissance de l’art ramuzien, mais elle me touche. C’est comme si, par ce signe – dont Ramuz savait bien qu’ils sont parmi nous –, il m’encourageait à enseigner ses textes, et me rappelait que, même s’il aspire, par son œuvre, à exprimer des sentiments profonds et universels, du haut de sa stature, il n’en reste pas moins humain. Et par la même occasion, il me fournit une formidable « captatio » pour mon introduction à Farinet, dont l’écriture date justement du début des années 1930 et qui traite de... fausse monnaie !

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